Regards croisés sur le vieillissement.

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Rendre visible l’âgisme – Vers une nouvelle compréhension du vieillissement

L’âgisme nous concerne toutes et tous – directement ou indirectement. Il ne se manifeste pas seulement par des formes explicites de discrimination, mais très souvent par des mécanismes subtils, ancrés dans les institutions.

Dans cet entretien, Christina Röcke du Healthy Longevity Center de l’Université de Zurich explique pourquoi le discours politique reste largement marqué par des représentations déficitaires du vieillissement, quelles en sont les conséquences pour la participation sociale des personnes âgées et comment une stratégie de la vieillesse tournée vers l’avenir peut contrer cette tendance.

Interview I Emilie Casale, Romaine Farquet 

© Source de l'image: Frank Brüderli

Christina Röcke est psychologue et co-directrice du Healthy Longevity Center de l’Université de Zurich. Elle s’engage dans plusieurs instances nationales, notamment comme membre du comité de GERONTOLOGIE CH, du conseil scientifique de l’association «Connect!», ainsi que des groupes d’accompagnement de la stratégie vieillesse de la Ville de Zurich et du programme cantonal «Santé des personnes âgées». Elle soutient également l’initiative de science citoyenne «ältertätig».

Comment définissez-vous l’âgisme et comment se manifeste-t-il dans le quotidien des personnes âgées ?

L’âgisme englobe des comportements adressés à une personne uniquement en raison de son âge – en règle générale, il s’agit de comportements négatifs ou discriminatoires. La discrimination fondée sur l’âge peut se manifester au quotidien lorsque quelqu’un n’est pas pris au sérieux ou est explicitement décrit·e comme moins compétent·e dans un domaine donné –  en raison de l’âge perçu ou réel de cette personne.

Si une personne rencontre des difficultés devant un distributeur automatique de billets, nous avons tendance, lorsqu’il s’agit d’une personne plus jeune, à supposer qu’elle est simplement distraite  ou momentanément peu concentrée. Pour une personne plus âgée, nous avons davantage tendance à conclure qu’elle « ne maîtrise pas la technologie » de manière générale ou, pire encore, qu’elle commence à souffrir de démence.


Quelles conséquences l’âgisme a-t-il sur la participation sociale des personnes âgées ?

Comme on peut s’y attendre, l’âgisme peut avoir de multiples effets négatifs. Étant donné que la discrimination implique par définition un désavantage — qu’il s’agisse d’informations non transmises ou d’un accès limité à certains services, offres ou activités — la participation sociale et sociétale se trouve souvent réduite.

La participation peut être empêchée ou rendue difficile lorsqu’une commune ne dispose pas d’infrastructures permettant aux personnes ayant des limitations de mobilité — dont font partie certaines personnes âgées — de se déplacer malgré ces restrictions. La participation peut également être entravée lorsque des problèmes de santé sont considérés comme « normaux à cet âge » et ne sont, pour cette raison, pas jugés dignes d’être traités.


De nombreuses formes d’âgisme sont subtiles et institutionnalisées. Quels sont, selon vous, les principales zones d’ombre dans le discours politique et dans la perception publique ?

Un point essentiel réside dans le fait que le vieillissement est encore souvent envisagé de manière unilatérale sous l’angle biomédical. Cela réduit la compréhension du vieillissement à ses pertes, alors qu’il s’agit d’un processus complexe et multidimensionnel. La recherche montre depuis longtemps que les ressources et les compétences évoluent très différemment selon les personnes âgées. Malgré cela, le discours politique continue de considérer les personnes âgées comme un groupe homogène et essentiellement porteur de coûts.

Un changement de perspective est donc nécessaire : il faut rendre visible la contribution des personnes âgées à la société et reconnaître l’âgisme comme un phénomène structurel.


Dans le cadre du projet « Jedes Alter zählt » du UZH Healthy Longevity Center, vous analysez les représentations dominantes du vieillissement. Quelles images rencontrez-vous le plus souvent dans la société ?

Les images du vieillissement sont très diverses, mais souvent marquées par l’idée de déficit – en particulier dans le domaine des capacités cognitives. Parallèlement, nous rencontrons des stéréotypes tels que « sage mais grincheux·se ». Ce type de représentations ambivalentes associe d’un côté une perte de compétence, et de l’autre une forme de chaleur humaine. Elles influencent fortement la manière dont les personnes âgées sont perçues.

Dans le projet « Jedes Alter zählt », nous étudions ces représentations avec les personnes concernées, afin de rendre visible la discrimination liée à l’âge et d’élaborer des stratégies pour y répondre. Les échanges montrent souvent que beaucoup commencent à remettre en question leurs propres préjugés dès qu’ils pensent à des personnes concrètes.

 

L’OMS demande, dans le cadre de la Décennie pour le vieillissement en bonne santé, de lutter systématiquement contre l’âgisme. Selon vous, que devrait prévoir une nouvelle stratégie de la vieillesse en Suisse pour répondre à ce défi au niveau structurel ?

Une stratégie de la vieillesse tournée vers l’avenir doit promouvoir et communiquer largement une image du vieillissement axée sur les ressources. Les espaces publics, la formation, le logement et les soins doivent être régulièrement analysés pour identifier les obstacles existants.

L’âgisme peut être réduit si les connaissances sur la diversité des parcours de vieillissement sont renforcées et si les échanges intergénérationnels sont soutenus structurellement – par exemple au moyen de formes d’habitat communautaire ou d’offres d’apprentissage partagées.

Il est également essentiel de reconnaître l’âge comme une catégorie spécifique de discrimination et de soutenir la recherche dans ce domaine, y compris en tenant compte de l’intersectionnalité, c’est-à-dire la discrimination liée à plusieurs caractéristiques personnelles en plus de l’âge. Enfin, il convient de questionner de manière critique certaines pratiques apparemment anodines – comme la commercialisation de produits « anti-âge ».

 

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